Mimétisme
Jun 5, 2015 00:00 · 1100 words · 6 minute read
Ce matin dans le train pour aller au boulot, un homme me tends un pauvre carton bleu avec un calendrier illisible imprimé dessus. Il fait le tour pour distribuer à tout le monde ces cartons et puis il revient vers moi, pour voir si je ne veux pas lui donner un peu d’argent contre son carton.
Alors que je lui rends le carton, il secoue dans sa main des pièces pour faire le bruit d’une pièce qui tombe et me remercie à haute voix comme si je venais de lui donner de l’argent. Cette réaction ne m’est pas destiné mais concerne les autres passagers qui ne voient pas la scène mais l’entendent. Il refait la même chose au siège suivant devant moi, deux sièges plus loin une personne lui donne de l’argent.
C’est un exemple banal d’une personne qui sait exactement ce qui nous anime. Pour sa survie, il sait s’en servir pour pousser les gens à faire ce que les autres font par mimétisme, par imitation.
Cela m’a ramené à un autre court échange semaine dernière sur tweeter avec Christian den Hartig qui m’a donné envie d’essayer de m’éclaircir sur le phénomène mimétique, et l’apprentissage.
En parlant dans l’article précédent des moyens de limiter l’influence des médias, Christian m’a envoyé la vidéo qui suit avec cette remarque amusée: “et se libérer des mouvements de foule ?”. Car cette vidéo est plutôt drôle, mais elle illustre parfaitement bien ce qu’est la nature profonde du phénomène mimétique.
Dans la vidéo précédente, l’individu est mis en contexte “de stress”, dans une rue déserte un grand groupe d’individus le rejoignent au grand pas. Un signal d’alerte, le bruit et le groupe qui se baisse, enclenche le phénomène qui fait qu’il va agir comme le groupe. Le désir de l’individu épouse naturellement le désir de la foule, car notre conscience n’a accès qu’après coup à son action. L’individu a terre cherche la menace avec anxiété autour de lui, il cherche la raison extérieure qui justifie son action. Et même si il ne voit pas, malgré cette dissonance cognitive l’individu pris par la peur continuera à suivre la volonté de la foule, et fuira en courant avec elle.
Seule la conscience réveillé par la dissonance cognitive (qui s’appuie sur une référence corporelle intérieure) et la contemplation (ou à défaut la réflexion) peut nous permettre d’arrêter ce phénomène d’imitation de la foule, de voir la réalité de la situation.
Les personnes du marketing (de la propagande, car tel est leur métier) l’ont eux compris depuis longtemps, leur ambition est de tout faire pour laisser le champ complètement libre au pulsionnel qui induisent les mouvements de masse conditionnées, ils cherchent à éviter tout retour sur soi (réflexion=“le retour en réponse à quelque chose”). Les récentes innovations qui “pousse le bouton” encore plus loin vers la pulsion d’achat en arrivent à des extrémités caricaturales, sont vantés comme un “progrès” pour l’humanité.
Beaucoup d’actes quotidiens se passent comme la trame de cette vidéo, ou comme dans mon train ce matin, car ce désir mimétique ne se produit pas que dans les foules. Nous agissons souvent ainsi, c’est tellement quotidien et banal que la plupart du temps nous agissons ainsi sans même le réaliser. Par nos réactions face aux médias (journaux, réseaux sociaux, etc), dans les réactions dans les projets de nos entreprises, etc. Le réflexe mimétique n’a non plus besoin d’un groupe, il se reproduit à chaque fois que l’on est pris par un acte culturel conditionné (par exemple, avoir faim à midi), car l’apprentissage est basé sur des actes mimétiques (j’y reviendrais plus tard).
la force du centre
L’individu (comme le groupe) est agi par une force puissante issu de son centre, cette force “qui relie” l’individu/groupe est la force qui lui permet de “persévérer dans son être”. Il me semble que le réflexe mimétisme n’est qu’une propriété de cette force qui permet de garder l’unité du groupe (ou de l’individu). Lorsqu’une dissonance cognitive apparaît pour l’individu (ou le groupe), elle se doit d’être réglé pour restaurer l’unité.
Pour cette “auto-régulation”, il me semble qu’il n’y a que trois moyens:
- se responsabiliser en revenant par delà ses culpabilités, sur ses croyances pour soigner les blessures sous-jacentes et permettre de s’aligner avec le réel
- nier la réalité tout en préservant ses croyances, ce qui n’est possible que si le corps est suffisamment anesthésié et/ou la fuite et le refoulement encore possible
- projeter en “hallucinant” une cause extérieure à soi si le refoulement seul n’est pas suffisant. Le bouc-émissaire sera une personne/groupe/objet non-responsable mais en situation de faiblesse (culpabilité et/ou infériorité) qui ne lui permettra pas de se défendre. L’individu qui projette évite ainsi de se remettre en cause et de soigner ses blessures (et se débarrasse de sa dissonance cognitive).
Tout un chacun pourra constater pour lui et son entourage, mais j’observe que c’est souvent la projection et le refoulement qui sont le plus souvent la solution retenue face à des difficultés.
Le mimétisme au cœur de l’Histoire
L’histoire de l’homme qui refuse de faire le salut nazi dans la foule
Lorsque la dissonance perdure et s’accentue, la projection vers l’extérieur devient plus vitale et urgente et l’unité du groupe/individu est menacé. Le mécanisme de la crise mimétique est le seul moyen qui reste pour restaurer l’unité dans le groupe.
Dans l’histoire les périodes de transition d’autorité, qui sont des crises “religieuses” (religare=“ce qui relie”) car il y perte de ce qui fait autorité et relie les individus, engendrent les phénomènes mimétiques les plus violents. Une fois le massacre des innocents commis, la paix et l’unité du groupe est retrouvé et permet la mise en place d’un nouveau projet commun.
Pour qui douterais de ce mécanisme, il suffit de rappeler des exemples récent de notre histoire Européenne, comme la chasse aux sorcières qui précèdent/fonde le siècle des lumières, ou encore le génocide Juifs dans toutes l’Europe qui précède/fonde le socle du projet Européen.
De nos jours, il me semble important de comprendre qu’en Europe nous sommes rentrées dans une nouvelle crise de transition d’autorité avec le numérique (nous verrons plus tard le lien entre la technique et les crises de transition d’autorité). Il ne vaut mieux pas se leurrer, et croire que ces violences mimétiques sont issues de temps sombres révolus, d’un autre temps barbares où nous étions “moins civilisés”. Nous sommes toujours comme cela, et les mêmes causes produisent toujours les même effets, seule la forme change.
J’en reste là pour aujourd’hui. Dans un autre post, je reviendrais sur l’altérité, l’autre perçu comme différent, et ces trois réactions possibles: la fusion (1+1=1), la compétition (1+1=2), la relation (1+1=3)