Substance, corps et esprit
Apr 27, 2015 00:00 · 1218 words · 6 minute read
Dans l’article précédent, j’ai commencé par introduire “ce qui est” au centre, et la substance qui en est issue, l’essence de toute chose. Commencer par le centre peut paraître abstrait et abrupt, mais j’y reviendrai longuement par la pratique du taïji, entre autre chose. Ce qui ne le rendra peut-être pas plus concret ;).
Je poursuis avec les deux attributs principaux de cette substance chez l’humain, le corps et l’esprit, ce qui nous amènera à la question de la liberté, et de l’autorité…une prochaine fois.
En plein bain dualiste
Nous baignons dans une approche dualiste de la réalité, c’est-à-dire que nous dissocions le corps de l’esprit. Nous sommes tellement imprégnés de ce bain culturel, que nous n’en avons souvent même pas conscience. Plus ironique encore, nous nous racontons souvent même l’inverse. Ce week-end je lisais des magazines, et je prendrai un exemple banal et de saison, “le régime alimentaire pour être beau/belle cet été”, pour illustrer tout cela dans un prochain article.
Alors que notre civilisation revendique un culte du corps et un soit-disant matérialisme, en pratique nous nous détachons et nous déracinons un peu plus chaque jour pour partir dans le mental et ces fantasmes de “tout pouvoir” (pouvoir avoir, pouvoir faire, pouvoir faire faire, pouvoir être, etc), au lieu de continuer à cultiver cette recherche de pouvoir, avec sa soit-disant inconciliable opposition (soit l’on serait matérialiste, soit idéaliste).
Il me semble plus intéressant d’écouter la petite minorité de personnes, qui de tout temps, a cherché et trouvé comment dépasser ce dualisme pour retourner vers une puissance naturelle en soi, loin des chimériques pouvoirs salvateurs.
Vous ne perdrez pas votre temps à écouter les 20 premières minutes de cette émission, sur le corps et l’esprit vu par Spinoza. L’essentiel sur le sujet est dit.
le corps et l’esprit
La substance est unique, elle est l’essence de toute chose. Pour l’humain, elle a deux attributs, deux fonctions distinctes qui sont le corps et l’esprit (ce dernier étant souvent limité au mental de nos jours). Ces deux fonctions, corps et esprit, sont à la fois inséparables car elles jouent de concert, et à la fois indépendantes car elles se rapportent à deux fonctions distinctes qui ont leurs caractéristiques propres.
Bien que nous sachions que le corps et l’esprit sont indissociables, par notre conditionnent culturel, nous agissons souvent comme si ils étaient séparés ou plutôt, comme si l’un devait dominer l’autre. Nous verrons plus tard, qu’historiquement nous sommes rentrés depuis très longtemps dans une culture de la domination et de la recherche de pouvoir, par la force et puis par les idées. Nous sommes toujours inscrits dans cette perspective, à la suite du projet des lumières qui ambitionne de “devenir maître et possesseur de la nature” (Descartes). Cela commence par soi-même, par la domination de notre corps, d’une nature humaine perçue comme mauvaise en soi.
Pour déterminer comment bien agir, au lieu de développer l’action issue de la puissance et la liberté qui est en Soi, notre (ré)action vient souvent d’une réponse à des normes sociales pré-existantes (pas toujours tout de même). Un conditionnement réactif intégré dès l’enfance, par des blessures et culpabilités associées.
Par le passé ces normes étaient fixées par la religion, avec ses valeurs fixées de “bien et de mal”. L’abandon salutaire des religions dans nos sociétés comme norme sociale n’a dans le fond rien changé du point de vue du mécanisme à l’œuvre. Nous avons juste changé de “religion”. Je dis cela sans vouloir minimiser l’impact du passage a une ‘religion’ laïque, il y a un réel impact sur “qui légifère, qui exécute, qui punit” qui est sous l’influence d’une classe dominée par le capital. Par l’emploi du mot religion, je souhaite souligner ce besoin d’ordre social et de lien qui est nécessaire. Notre laïcité n’est qu’une autre forme de religion (religieux=“ce qui relie”). La démocratie ou la république proposent des valeurs qui transcendent l’individu pour faire société, pour faire du lien et rendre la vie commune possible. Ces valeurs sont fixées par des lois, mais une grande partie vient de l’inconscient individuel et collectif de la société concernée.
Il en découle un “comportement de l’esclave”, pour reprendre l’expression de Spinoza, qui est le comportement de tout un chacun. Il s’agit de se conformer plus ou moins inconsciemment à ses propres conditionnements, issus des valeurs dominantes conscientes et inconscientes de notre société.
Cette situation, inchangée depuis des siècles, entraîne des croyances en l’efficience de la volonté (“si je le veux, je peux le faire”). L’émergence de l’individualité, engendre en suivant la croyance en un libre arbitre (“j’ai fais cela, car j’ai décidé que xyz”), l’humain perçu comme être de décision rationnel trouvant son apogée de bêtise dans l’homo œconomicus. Ce “comportement de l’esclave” engendre un fatalisme ou un découragement quand on n’arrive pas à atteindre ce que l’on s’est fixé, ou plutôt ce qui fut fixé inconsciemment pour nous par nos parents et éducateurs. L’échec, s’il n’est pas puni, est de toute façon perçu par nous-même comme une faiblesse de notre volonté et de notre caractère.
Notre mode de perception du monde est d’oublier la plupart du temps ce que le corps nous dit et l’information que la substance nous donne. Même si nous avons l’impression d’écouter nos émotions, c’est souvent notre conditionnement inconscient que nous suivons aveuglément, dans un mode purement réactif. Spinoza l’avait bien compris, et les neurologues le mesurent a présent, notre prise de décision inconsciente précéde de quelques dixième de secondes l’arrivée à notre conscience de cette information. Notre capacité à nous raconter des histoires est parfois bien plus forte, tout comme notre résistance à la remise en cause par identification à nos représentations mentales individuelles et collectives.
Mais les “faits sont têtus”, ou dit autrement “le corps ne ment pas”, et nous rappelle à l’ordre. Et il peut parfois arriver un moment où il n’est plus possible de fuir, ce qui est toujours une chance d’une réelle remise en cause. Mais entre-temps nous continuons a fuir, à “tirer sur la corde” du corps avec la volonté de notre mental. Cette tension n’est pas que dans le mental, elle est aussi dans le corps, et elle entraîne des mécanismes de compensation pour décompresser, et des conséquences plus ou moins importantes à long terme sur notre santé.
Comme expliqué dans l’émission radio plus haut, il existe une liberté qui n’est pas un illusoire libre-arbitre. Cette liberté réside dans la réponse de cette substance qui aligne et unit de concert le corps et l’esprit. Pour cela, il convient d’apprendre à écouter et à se libérer de ces tensions issues des conditionnements de l’esprit, et d’apprendre à ne plus tendre et se désaxer.
D’où le besoin d’une éthique, qui est une pratique pour sortir ces conditionnements de l’inconscient. Une rééducation du mental et un soin du corps est nécessaire, apprendre à écouter, à accueillir, à ralentir son mental, et se mettre au rythme de cette musique qui nous est propre.
Plus qu’une théorie, c’est surtout une pratique physique qui est nécessaire, et un dialogue pour mettre à jour ce qui se joue en soi. La pratique du taïji offre une voie de découverte de la substance et de son rythme qui va guider le corps et l’esprit.
Tout un programme, un chemin du retour à ce qui est déjà là et que l’on n’écoute pas.